Avis Foudart 🅵🅵🅵
Marie, une femme que nous avons toujours vue muette se met à parler et nous raconte ce qu’elle a réellement vécu, l’éloignement et la mort de son fils. Seule, à l’écart du monde, dans un lieu protégé, elle tente de s’opposer au mythe que forgent les anciens compagnons de son fils. Ils dressent un portrait qu’elle ne reconnaît pas et veulent bâtir autour de sa crucifixion une légende qu’elle refuse.
Lorsque l’on rentre dans la salle de spectacle, on est tout de suite ébloui par l’installation musicale présente.
J’ai démantelé des pianos à bout de souffle, ne gardant que la table d’harmonie, soit les viscères, les organes. Ces cadres-cadavres sont devenus de purs corps résonnants. Liées par des fils de Nylon, les cordes ne peuvent émettre un son par elles-mêmes, cependant la vibration de l’une entraîne indéfectiblement la corde sœur d’un autre instrument éloigné de plusieurs mètres. Évoluant dans l’espace intermédiaire ainsi créé, je me déplace le long de ces fils. Lorsqu’ils sont frottés, pincés, touchés, ils transmettent leurs vibrations aux cordes puis aux cadres, et mettent les tables d’harmonie en résonance. Le but de ce dispositif est de trouver de nouvelles manières de lier mouvement et son. Je cherche comment l’engagement intégral du corps peut produire de la musique et comment ce jeu engendre du geste en retour : l’interdépendance geste-son propre à toute pratique instrumentale est ici portée à son paroxysme. Mon travail n’est qu’une amplification de cette relation, soit le corps devenu un archet vivant. Alvise Sinivia, à propos de son instrument
Alvise Sinivia a créé, de toutes pièces, un nouvel instrument monumental à partir de deux pianos et de cordes. Une sorte d’immense violon ou l’archer devient le corps du musicien en entier.
Alvise se glisse, se frotte, s’insère à l’intérieur de son instrument et compose un magnifique ballet sensuel pour corps et corde. Le son, unique, électronique et aérien qui sort de son instrument nous entraîne dans un univers poétique et moderne, un voyage enivrant, presque transcendantal et spirituel.
De son côté, Vittoria Scognamiglio, à la voix magnifique et chantante, jongle entre les langues et les sons.
En revisitant le texte de Colm Tòibìn, Amahì Saraceni en fait, donc, un spectacle qui ne ressemble à aucun autre.
Una Madre est une installation, un concert, une danse, une pièce de théâtre. Chaque art se côtoie, s’affirme, s’isole et met l’autre en lumière.
À sa lecture, c’était une évidence que je devais le faire avec ces artistes-là, entrelaçant l’italien et le français. Parlant plusieurs langues, le choix de les mêler n’est pas un hasard pour cette création. C’est un choix artistique et musical intime. Le texte est au-delà de toute notion de religion, il nous parle d’immigration, de l’arrivée des « idoles » factices, d’un monde qui s’écroule, de la distance qui parfois sépare les générations. L’écart entre le jeu néo-réaliste de Vittoria Scognamiglio et l’univers contemporain apporté par Alvise Sinivia et Éloïse Vereecken m’intéressaient, comme un passage, une opposition, une incompréhension entre une génération passée et une à venir. La puissance de la musique et le visuel des pianos désossés d’Alvise Sinivia tels des instruments anciens presque archaïques font résonner au sens propre tout l’espace, et tissent les liens entre une histoire ancestrale et notre modernité. Amahì Saraceni
On peut se sentir bousculé ou même dérangé pendant la durée de ce spectacle, par son côté très lent, très posé, très sombre, mais Amahì Saraceni affirme, hauts et fort ses choix et partis pris. On est ici dans une performance artistique, avant tout, et un espace de création.
Il faut vivre, sentir et ressentir l’expérience Una Madre. Ce petit quelque chose d’inexplicable qui laisse pour longtemps un souvenir immense.
Una Madre
Représentation au Théâtre 14
Texte d’après Le Testament de Marie de Colm Tòibìn
Mise en scène et dramaturgie Amahì Saraceni
Musique et création du dispositif musical Alvise Sinivia
Avec Vittoria Scognamiglio, Alvise Sinivia et Éloïse Vereecken
Crédit photo Roberta Verzella
Durée 1h15
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