Avec Sur l’autre rive, Cyril Teste propose une expérience théâtrale immersive, inspirée du Platonov de Tchekhov. Ce qui semble au départ une promesse d’innovation en mêlant cinéma et théâtre se révèle être une tentative audacieuse, certes, mais dont la complexité pourrait dérouter même les spectateurs avertis.
Un chaos maîtrisé ou une perte de repères ?
Si Teste réussit indéniablement à recréer l’atmosphère d’une fête chaotique, où dialogues, musique rock et rires s’entrelacent, le rythme de la pièce peut sembler pesant. En cherchant à plonger le spectateur dans une ambiance déstructurée et dense, l’histoire avance par à-coups, peinant parfois à maintenir un équilibre entre tensions et révélations. Ce « chaos savamment orchestré » devient à certains moments un défi pour le spectateur, qui se perd dans les allées et venues des personnages, à la recherche d’un fil conducteur plus clair. Cette approche, bien qu’intentionnelle, peut laisser certains se sentir exclus, observateurs distants d’une fête dont ils ne saisissent pas toujours le sens.
Un style cinématographique qui fascine autant qu’il déconcerte
La signature visuelle de Cyril Teste, caractérisée par des gros plans et des angles de caméra saisissants, apporte indéniablement une dimension supplémentaire à l’œuvre. Cependant, ce style cinématographique peut aussi rompre le rythme naturel de la scène. L’alternance rapide entre moments intimes et instants d’euphorie collective crée un décalage qui, loin d’enrichir la pièce, brouille parfois la lecture des intentions de Teste. Les spectateurs pourraient trouver que ce déluge d’images et d’informations, bien qu’esthétiquement maîtrisé, dilue l’intensité des échanges théâtraux, rendant difficile l’attachement aux personnages.
Des personnages en quête de sens, mais de direction également
Les personnages, menés par Micha, incarnent les contradictions de l’époque moderne, oscillant entre nostalgie et rejet des héritages familiaux. Cette quête existentielle, qui aurait pu constituer le cœur de la pièce, est ici souvent masquée par la scénographie envahissante. Teste ambitionne d’explorer la difficulté de s’affranchir de l’influence du passé, mais la profondeur des personnages, bien qu’évidente dans le texte, peine à percer sous l’agitation scénique. Les spectateurs risquent de rester en surface, observant des figures en quête de repères sans parvenir à s’y attacher pleinement.
L’immersion du public : une audace qui divise
L’idée d’inviter le public à se mêler à la fête, en le faisant monter sur scène, est un choix audacieux, mais qui ne fait pas toujours mouche. Si cette immersion renforce l’aspect imprévisible de la pièce, elle peut aussi accentuer la confusion. Chaque représentation prend une tournure différente selon l’implication des spectateurs, mais cette variabilité rend l’expérience inégale. Le spectateur-acteur est alors tour à tour captivé et perdu, témoin d’un drame qu’il perçoit mais peine parfois à comprendre.
Un hommage collectif éclipsé par l’ambition visuelle
Sur l’autre rive se veut aussi un hommage à la troupe et à l’esprit de camaraderie, un clin d’œil à l’univers de Tchekhov. Pourtant, ce message d’amitié et de fidélité est souvent éclipsé par le flot d’images et d’effets scéniques. Si l’on sent l’intention de Teste de rassembler ses acteurs autour d’une histoire commune, ce collectif semble par moments englouti sous le poids de la mise en scène.
Au final, Sur l’autre rive de Cyril Teste se présente comme une œuvre qui ne laisse pas indifférent. C’est une pièce ambitieuse, qui pousse les frontières du théâtre avec une esthétique hybride. Toutefois, cette quête qui devient une signature entraîne parfois des effets d’artifice qui fragilisent la lisibilité de l’histoire et la proximité avec les personnages. Bien plus qu’une simple adaptation de Tchekhov, c’est une expérience de théâtre-cinéma qui pourrait diviser : certains y verront un chef-d’œuvre immersif, tandis que d’autres en ressortiront avec un sentiment de confusion face à cette fête théâtrale où réalité et fiction s’effacent sans toujours se révéler. Avis Foudart 🅵🅵
Sur l'autre rive
Librement inspiré de Platonov d'Anton Tchekhov
Mise en scène Cyril Teste
Avec Vincent Berger, Olivia Corsini, Florent Dupuis, Katia Ferreira, Adrien Guiraud, Émilie
Incerti Formentini, Mathias Labelle, Robin Lhuillier, Lou Martin-Fernet, Charles Morillon,
Marc Prin, Pierre Timaitre, Haini Wang
Crédit photo © Simon Gosselin
THÉÂTRE DU ROND-POINT
Du 8 au 16 novembre 2024 • Du Mardi au vendredi, 20h30 - samedi, 19h30 - Dimanche 10 novembre, 15h
Tournée
27 septembre — 13 octobre 2024 Théâtre Nanterre-Amandiers, Centre Dramatique National (92)
17 et 18 octobre 2024 Espace des Arts, scène nationale de Chalon-sur-Saône (71)
26 novembre 2024 Equinoxe, scène nationale de
Châteauroux (36)
5 et 6 décembre 2024 Maison de la Culture d’Amiens, Pôle européen de création et de
production (80)
11 — 13 décembre 2024 Les Quinconces, scène nationale du Mans (72)
18 et 19 décembre 2024 La Condition Publique, Roubaix, Dans le cadre de la saison nomade
de La rose des vents, Scène nationale Lille Métropole Villeneuve d’Ascq (59)
15 — 17 janvier 2025 Théâtre des Louvrais, Points Communs, scène nationale de
Cergy-Pontoise / Val d’Oise (91)
22 et 23 janvier 2025 Comédie de Valence,
Centre dramatique national Drôme-Ardèche (26)
30 janvier — 8 février 2025 Les Célestins, Théâtre de Lyon (69)
18 et 19 mars 2025 Le Tandem, scène nationale,
Douai (59)
26 — 28 mars 2025 Théâtre Sénart, scène nationale (77)
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