Il est des pièces qui marquent au fer rouge, qui frappent fort et laissent une empreinte durable. L’Injuste, mis en scène par Julien Sibre, appartient à cette catégorie. Huis clos haletant, thriller psychologique, affrontement idéologique et moral d’une rare intensité, cette œuvre ne se contente pas de raconter une histoire ; elle nous enferme dans une joute verbale à la fois implacable et vertigineuse. Au centre de ce combat, Jacques Weber et Élodie Navarre livrent une partition à couper le souffle.
Un face-à-face sous tension
Nous sommes en 1993, dans un bunker perdu au cœur d’une forêt suisse. François Genoud, banquier des nazis, dernier détenteur des droits d’Hitler et Goebbels, attend la mort, sans avoir jamais été inquiété par la justice. Face à lui, une jeune journaliste israélienne venue l’interviewer pour un ultime échange. À première vue, tout semble écrit d’avance : l’homme sait manipuler, contourner, tordre la vérité à son avantage. Mais qui est réellement le prédateur dans cette confrontation ? Qui finira par terrasser l’autre ? C’est toute la puissance du texte : renverser les attentes, bousculer les certitudes, distiller le doute dans l’esprit du spectateur.
Ce duel intellectuel, aussi effrayant qu’hypnotique, fait voler en éclats les évidences. On croit deviner la suite, mais chaque réplique est une lame qui tranche un peu plus profond, et chaque silence devient un champ de bataille. La pièce ne se contente pas d’exposer les faits ; elle interroge l’histoire et la mémoire collective en nous prenant à témoin.
Jacques Weber, magistral, face à une Élodie Navarre incandescente
On ne présente plus Jacques Weber, figure incontournable du théâtre français. Ici, il trouve un rôle à la hauteur de son immense talent. Jamais dans la démonstration, parfois en trébuchant légèrement sur le texte, il module chaque silence avec une précision redoutable. Tour à tour glacial, charmeur, provocateur, il incarne un Genoud terrifiant de complexité, refusant tout repentir et jouant avec une assurance déconcertante. Son jeu, empreint d’une intensité glaçante, donne à ce personnage un réalisme dérangeant, rendant l’horreur plus tangible encore.
Face à lui, Élodie Navarre est éblouissante. Loin de se contenter d’un rôle de faire-valoir, elle oppose une résistance saisissante à ce monstre du passé. Son interprétation, toute en nuances, oscille entre froide détermination et fragilité contenue. Elle joue avec une précision remarquable, capturant chaque frisson, chaque hésitation, chaque montée d’émotion. C’est une performance d’une justesse rare, qui fait d’elle bien plus qu’une adversaire : une force à part entière, capable de renverser le cours de l’affrontement.
Une mise en scène sobre et percutante
Julien Sibre, déjà récompensé par un Molière pour Le Repas des fauves, démontre une fois de plus son talent pour orchestrer des huis clos d’une tension extrême. Ici, pas d’artifice superflu ; tout est conçu pour mettre en valeur le texte et le jeu des acteurs. Les lumières, discrètes mais efficaces, accentuent l’atmosphère oppressante, tandis que le décor minimaliste enferme littéralement les personnages, comme s’ils étaient pris au piège de leur propre destin.
La sobriété de la mise en scène laisse toute sa place aux mots, aux silences lourds de sens, aux respirations suspendues. Chaque geste, chaque regard devient un élément dramatique à part entière. Cette économie de moyens n’enlève rien à la puissance de la pièce, bien au contraire ; elle lui confère une force brute, une intensité implacable qui cloue le spectateur à son siège.
Un théâtre coup de poing
On ressort de L’Injuste avec le souffle court, bouleversé par ce duel d’une rare intensité. Le texte, ciselé au scalpel, interroge la mémoire, la justice et la nature humaine avec une intelligence redoutable. Chaque échange est une nouvelle épreuve, un pas de plus vers une vérité insaisissable. Rien n’est manichéen, rien n’est facile, et c’est précisément ce qui rend la pièce si puissante.
Weber et Navarre livrent une prestation d’anthologie, transformant ce face-à-face en un véritable combat de gladiateurs, où les mots sont des armes et où l’issue reste incertaine jusqu’à la dernière seconde. La mise en scène, d’une sobriété calculée, permet de concentrer toute l’attention sur ce duel impitoyable.
Une œuvre nécessaire, magistrale et dérangeante. Du grand théâtre. Avis de Foudart 🅵🅵🅵
L’INJUSTE
Une pièce de Alexandre AMIEL, Yaël BERDUGO,
Jean-Philippe DAGUERRE, Alexis KEBBAS
Mise en scène Julien SIBRE
Avec Jacques WEBER, Élodie NAVARRE
Décors Camille DUCHEMIN • Lumières Jean-François DOMINGUES • Costumes Vanessa COQUET • Musiques Jérôme HÉDIN
Crédit Photo Jonty Champelovier
THÉÂTRE DE LA RENAISSANCE
À partir du 23 janvier 2025 • Du mardi au samedi à 19h00 dimanche 15h00 • Durée 1h20
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