Un fait divers comme un autre ?
Avis de Foudart 🅵🅵🅵🅵 Melissa Lucio est la première femme hispano-américaine condamnée à mort au Texas, en 2008.
Accusée d’avoir tué sa fille de deux ans, cette mère pauvre et droguée, coche toutes les cases de la coupable idéale. Pourtant, son histoire qui regorge de zones d'ombres, va se révéler bien plus complexe qu’elle n’y paraît...
Ce qu’il y a de beau dans le cinéma, c’est quand la caméra est le prolongement d’un regard. TANIA DE MONTAIGNE (Autrice et journaliste)
Sabrina Van Tassel parle de sa rencontre avec Melissa Lucio lorsqu'en 2016, elle réalisais un reportage aux États-Unis sur les femmes dans le couloir de la mort :
Curieusement, l’histoire de Melissa était celle qui m’intéressait le moins. Je n’avais pas envie de raconter le cas d’une femme droguée qui avait maltraité sa fille de deux ans jusqu’à la mort.
Après une courte enquête, elle découvre très rapidement toutes les zones d’ombres de son histoire :
Il ne fait quasiment aucun doute que si Melissa avait été défendue comme elle aurait dû l’être, elle ne serait pas dans le couloir de la mort. Sabrina Van Tassel
C’est sur cette certitude que Sabrina Van Tassel entreprend son deuxième long métrage documentaire et se lance dans cette aventure.
Un film sans artifice où nous n’aurions pas besoin d’explication. Où tous les éléments à charge seraient exposés dès la première image, de manière à ce que le spectateur se fasse sa propre opinion.
Regarder au delà des évidences
Sans jugement ni a priori, elle nous propose de découvrir l’histoire de cette femme désœuvrée, coupable idéale, broyée par le rouleau compresseur d’un système judiciaire.
Elle expose les faits minutieusement, nous oblige à ouvrir les yeux et voir au delà des évidences.
À travers cette histoire, c’est un système tout entier que j’ai voulu confronter. Celui des juges et des procureurs qui, pour être réélus, ont besoin d’un quota de condamnations fortes, dont la peine de mort.
Une œuvre humaniste
L’état du Texas contre Melissa est un film puissant et déchirant. Un film captivant jusqu’à la dernière minute, effrayant et profondément humain.
Un film essentiel qui remet en question la justice des hommes et l’égalité de tous.
L’ÉTAT DU TEXAS CONTRE MELISSA
Un film de SABRINA VAN TASSEL 2021 • FRANCE • 97 min • Documentaire
AU CINÉMA LE 15 SEPTEMBRE
EN SAVOIR PLUS…
L’État de Texas par Simon Grivet, maître de conférences en histoire et civilisation des États-Unis, université de Lille.
Arraché au Mexique dans la première moitié du XIXe siècle, l’État du Texas est le plus vaste de l’Union après l’Alaska, s’étendant sur près de 700 000 km2, ce qui fait que sa population nombreuse (elle approchait en 2019 des 29 millions d’habitants) y est très inégalement répartie.
À l’extérieur des grandes métropoles comme Dallas Fort Worth, Houston ou San Antonio, c’est un monde de villes petites et moyennes, de campagnes parfois arides et désertiques.
État prospère, le Texas, grâce à son industrie pétrolière, son agriculture performante et ses métropoles très dynamiques, est le deuxième territoire le plus riche du pays derrière la Californie.
État conservateur et vigoureusement néolibéral, le Texas taxe peu ses habitants qui sont libres de vivre leur rêve américain de richesse et de prospérité mais ne doivent pas attendre trop d’aides ou de soutien des autorités en cas de difficultés. Cette philosophie et des habitudes de gouvernance très décentralisées ont conduit à l’accroissement d’importantes inégalités socioéconomiques au sein de la société texane.
Près de 14% des Texans vivent sous le seuil de pauvreté mais ce taux double dans la vallée du Rio Grande, notamment dans le comté de Cameron où vivaient Melissa et sa famille.
Ce sud texan correspond à ce que les géographes ont appelé la Mexamerica : des comtés limitrophes du Mexique dans lesquels la quasi-totalité de la population se reconnaît comme hispanique, parce que descendants d’immigrants mexicains ou récemment immigrés eux-mêmes, ayant l’espagnol comme langue maternelle et étant de confession catholique.
Cette Mexamerica, sous juridiction états-unienne, vit pourtant sous l’influence mexicaine et doit relever les défis propres à une zone frontalière entre deux pays au niveau de vie si différents : des flux migratoires importants, que le président précédent proposait de stopper à l’aide d’un mur supposément infranchissable, ou l’influence corruptrice des activités mafieuses liées aux narcotrafics.
État conservateur, société individualiste et inégalitaire, le Texas a conservé des traits de front pionnier particulièrement dans l’appréhension de la violence endémique qui le travaille toujours.
Avec des armes à feu en vente libre, les Texans s’entretuent quatre fois plus que les Français.
Face à ce défi posé par la criminalité, l’État a construit un archipel pénitentiaire stupéfiant. Doté d’un budget de 3 milliards de dollars, l’administration pénitentiaire texane retenait derrière les barreaux en 2019 près de 160 000 détenus dont plus de 13 000 prisonnières. Les homicides jugés les plus graves, commis au cours d’un autre crime, ou sur des personnes particulièrement vulnérables, peuvent conduire à la peine de mort dont l’État s’est fait une spécialité.
Depuis 1982, le Texas a exécuté par injection létale 571 condamnés à mort, plus qu’aucun autre État américain. Depuis 1998, l’État a mis à mort six meurtrières. 202 prisonniers végètent actuellement dans les « couloirs de la mort » texans, dont 6 femmes.
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