Après son adaptation acclamée de Fin de Partie, Jacques Osinski s’attaque à un autre monument théâtral : L’Amante anglaise de Marguerite Duras. Inspirée d’un fait divers macabre, cette œuvre nous plonge dans un thriller psychologique où l’énigmatique Claire Lannes devient le miroir de la folie humaine. Héroïne impénétrable, Claire a assassiné et démembré sa cousine sourde et muette, dispersant les morceaux dans des trains de marchandises. Mais ici, l’enquête n’a pas pour but de démêler les faits ; elle cherche à percer l’incompréhensible, à saisir l’âme humaine dans toute sa complexité.
Un théâtre épuré, révélant l’essence du mystère
Osinski, fidèle à la vision de Duras, opte pour une mise en scène dépouillée de tout décor et costume, laissant les mots et les silences occuper le devant de la scène. Cette approche radicale donne une force unique aux échanges : chaque parole, chaque pause devient un espace d’interprétation pour le spectateur. En embrassant cette austérité scénique, Osinski crée un théâtre mental où chaque phrase ouvre un abîme émotionnel.
La puissance du silence : un théâtre centré sur l’âme humaine
Dans L’Amante anglaise, Duras réinvente le théâtre comme lieu de quête intérieure, où le silence et les mots seuls tentent de déchiffrer l’indéchiffrable. L’Interrogateur, omniprésent, semble être le double de Duras elle-même : il cherche sans juger, questionne sans relâche, incarnant un « anti-tribunal » où le langage se fait hésitant, presque balbutiant, pour approcher l’irreprésentable.
Deux interrogatoires pour une quête impossible de sens
La pièce se structure en deux interrogatoires : celui de Pierre, le mari de Claire, puis celui de Claire elle-même. Grégoire Oestermann incarne Pierre avec une désinvolture subtile qui dévoile son indifférence bourgeoise et met en lumière sa propre médiocrité. Ce « petit-bourgeois haïssable », comme le décrit Duras, incarne la société aveugle et complaisante. À travers ce personnage, Duras critique l’égoïsme d’une société plus préoccupée par son confort que par une réelle introspection.
Claire, de son côté, confesse son crime sans jamais fournir de réelle explication, plongeant l’Interrogateur dans un abîme de perplexité. Sa parole est parsemée de silences et d’images étranges, tissant une « chimie de la folie » où douceur et violence coexistent sans jamais se dévoiler entièrement. Même le titre, L’Amante anglaise, jeu de mots sur « la menthe anglaise », reflète la dualité de Claire entre le banal et l’effroyable.
Des performances magistrales dans une quête de l’indicible
Sandrine Bonnaire, incarnant Claire, livre une interprétation saisissante, oscillant entre douceur troublante et froideur dérangeante, conférant au personnage une dimension presque surnaturelle. Aux côtés de Frédéric Leidgens, dans le rôle de l’Interrogateur, elle incarne l’écho de Duras : une figure qui cherche, écoute, mais sans jamais juger, avec une ferveur quasi religieuse. Leidgens se fait le miroir du spectateur, s’obstinant à comprendre jusqu’à l’épuisement.
Une œuvre intemporelle qui interroge le mystère de l’existence
L’Amante anglaise est bien plus qu’un drame criminel. C’est une exploration des frontières de la compréhension humaine, une invitation à accepter ce qui échappe à la raison. Duras donne vie à une folie ordinaire, révélant cette part d’ombre insondable en chacun de nous. La mise en scène d’Osinski et les performances de Bonnaire, Leidgens et Oestermann transcendent le texte, créant une expérience théâtrale où, comme le dit Claire, on se retrouve « de l’autre côté du monde ».
Ce chef-d’œuvre de Duras demeure une énigme, une réflexion poétique et philosophique sur l’inexplicable. Entre les mots et les silences, L’Amante anglaise nous laisse face à notre propre vulnérabilité, face à cette question sans réponse : pourquoi ? Une interrogation qui résonne bien au-delà de la scène, comme un écho des mystères de l’existence humaine. Avis Foudart 🅵🅵🅵
L'AMANTE ANGLAISE
DE MARGUERITE DURAS (Texte publié aux Éditions Gallimard)
Mise en scène JACQUES OSINSKI
Avec Sandrine BONNAIRE, Frédéric LEIDGENS, Grégoire OESTERMANN
Lumières Catherine Verheyde • Costumes Hélène Kritikos • Dramaturgie Marie Potonet
Crédit photo © Pierre Grosbois
THÉÂTRE DE L'ATELIER
Du 19 octobre au 31 décembre 2024 • 21h du mardi au samedi • 15h le dimanche • Durée 2h10
TOURNÉE
9 au 11 janvier 2025 au Théâtre Montansier (Versailles)
14 janvier 2025 au TAP Poitiers avec les ATP
16 & 17 janvier 2025 à Toulon (Châteauvallon-Liberté scène nationale)
8 février 2025 aux Franciscaines (Deauville)
Tournée en cours de construction pour la saison 25/26.
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