Trente ans après la disparition de Jean-Luc Lagarce, Johanny Bert propose une relecture ambitieuse de Juste la fin du monde, l’un des joyaux du théâtre contemporain. Écrite en 1990 dans l’urgence d’une fin annoncée, cette pièce continue de résonner avec une force rare. Dans cette version portée par un décor en apesanteur et une direction d’acteurs minutieuse, l’hommage rendu à Lagarce impressionne par son respect pour l’œuvre, mais laisse parfois le spectateur à distance, prisonnier d’une certaine retenue.
Un décor entre mémoire et onirisme
La scénographie est sans conteste le point fort de cette mise en scène. Dans cet univers où le passé semble flotter au-dessus des personnages, Johanny Bert matérialise avec brio la mémoire et les non-dits à travers des objets suspendus qui évoquent les souvenirs d’une maison familiale des années 1980-1990. Ces reliques du quotidien, manipulées avec précision, descendent et remontent, créant des tableaux mouvants qui oscillent entre le tangible et le fantasmagorique. La présence d’une marionnette incarnant le père disparu, figure centrale bien que silencieuse, ajoute une dimension poétique et mélancolique à l’ensemble.
La langue comme moteur dramatique
L’écriture de Lagarce, fragmentée, répétitive, et traversée de silences, fait de la langue un protagoniste à part entière. Ce théâtre de l’indicible capture avec une finesse rare les fragilités et les tâtonnements des personnages, rendant palpable leur quête désespérée pour exprimer l’inexprimable. Johanny Bert revendique une approche « directe » de cette langue, et sa mise en scène accentue l’isolement de chaque protagoniste, renforçant leur enfermement intérieur. Ce choix, bien que pertinent sur le plan thématique, tend néanmoins à figer les interactions, créant une distance émotionnelle qui peut freiner l’empathie du spectateur.
Un jeu d’acteurs en demi-teinte
La distribution, emmenée par Vincent Dedienne dans le rôle de Louis, livre une interprétation techniquement irréprochable, mais qui manque parfois d’intensité émotionnelle. Dedienne offre un Louis tout en sobriété et en élégance, mais sa retenue laisse par moments le personnage orphelin de la tension et de la douleur qui devraient l’habiter. En revanche, Christiane Millet incarne avec justesse une mère aimante et aveuglée, tandis que Céleste Brunnquell (Suzanne) et Loïc Riewer (Antoine) apportent des nuances intéressantes, bien que leur jeu oscille parfois entre excès et retenue.
Un hommage fidèle mais prudent
Johanny Bert signe ici une mise en scène visuellement séduisante, mais qui semble hésiter à s’éloigner du texte pour explorer davantage les tensions humaines et les non-dits qui en constituent le cœur. En restant figé dans une lecture respectueuse mais presque trop académique, il limite la portée émotionnelle et dramatique de l’œuvre. Les personnages, souvent isolés dans leurs répliques, manquent d’interactions véritablement incarnées, ce qui entrave la fluidité du drame.
Un texte qui résiste au temps
Malgré ces réserves, Juste la fin du monde demeure une œuvre puissante et intemporelle. Johanny Bert livre un hommage honnête et soigné, où la beauté du texte de Lagarce continue de résonner avec une intensité brute. Cependant, cette mise en scène aurait gagné à oser davantage, à bousculer les conventions, à l’image de l’audace de Lagarce lui-même, qui ne craignait jamais de prendre des risques.
Johanny Bert nous offre une lecture visuellement remarquable et techniquement impeccable de Juste la fin du monde. Si l’approche parfois trop retenue et respectueuse limite l’impact émotionnel, l’essence de Lagarce et la fulgurance de son écriture continuent de fasciner. Un hommage qui ne bouleverse pas, mais qui rappelle, avec élégance, l’universalité et la profondeur de cette pièce incontournable. Avis de Foudart 🅵🅵
JUSTE LA FIN DU MONDE
DE JEAN-LUC LAGARCE- Éditions Les Solitaires Intempestifs
Mise en scène et scénographie Johanny Bert
Avec Vincent Dedienne, Astrid Bayiha, Céleste Brunnquell, Christiane Millet, Loïc Riewer et les marionnettistes en alternance Kahina Abderrahmani / Élise Cornille
Création musicale Guillaume Bongiraud • Création sonore Marc De Frutos • Création lumières Robin Laporte • Création marionnette Amélie Madeline • Création costumes Alma Bousquet
Photographie affiche ©Cédric Roulliat
Crédits photo Christophe Raynaud de Lage
THÉÂTRE DE L’ATELIER
Depuis le 14 janvier 2025 • Du mercredi au vendredi à 21h, Le samedi à 15h et 21h, Le dimanche à 16h • Durée 1h30
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TOURNÉE
Juste la fin du monde et Il ne m’est jamais rien arrivé
25, 26 et 27 mars 2025 : Le Sémaphore,
Cébazat
29 mars 2025 : La Halle aux grains, Blois
Juste la fin du monde
1er, 2, 3, 4, et 5 avril 2025 : La Croix-Rousse, Lyon
8 et 9 avril 2025 : Théâtre à Pau :
11 avril 2025 : Théâtre Odyssée, Périgueux.
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