Deux jeunes producteurs en pleine crise sanitaire
Avis de la rédaction 🅵🅵🅵 Basile se rend compte qu'il se trompe de vie depuis des années. Anas se réveille seul au milieu d'une campagne déserte. Fraîchement sortie de son conservatoire d'art dramatique, Olivia voit tous ses projets s'effondrer les uns après les autres. Derrière ces trois histoires se cache ni plus ni moins que la détresse d’un seul personnage : le jeune vingtenaire occidental de notre époque.
Cet individu qui se demande s’il n'a pas oublié de grandir, qui se réveille un beau matin en réalisant que les chemins empruntés sont peu à peu devenus des routes définitives, qu'il sera difficile de rebrousser. Mais n'est-ce pas une fois qu'on a touché le fond que la remontée peut commencer ?
On pourrait sans doute assigner une crise existentielle à n'importe quel âge de la vie. Et pourtant, la décennie des vingts ans me semble être un instant de profonde contradiction, entre l'ivresse et la folie de la jeunesse d’un côté, et le désir de carrière et de sécurité de l’autre. L'instant où il va falloir décider de façon plus ou moins définitive de ce à quoi on va consacrer sa vie. Il s'agit presque à mon sens du passage à l'âge adulte de notre époque.
C’est de cet état que je veux parler dans « Green Spleen ». Un état dans lequel je me suis retrouvé et dans lequel, je crois, beaucoup se retrouvent durant l’aube des trente ans : un savant mélange d'euphorie, de prise de conscience et désespoir. C’est le profond désir
de raconter ce paradoxe, cette ambiguïté. presque schizophrénique, qui m’a amené à inventer ces trois histoires de jeunes qui partent à la campagne pour échapper à leurs problèmes. Tantôt une menace, tantôt une alliée, elle représente leur inconscient, leurs doutes, leurs craintes, mais aussi et surtout leur propre nature humaine qui ne demande qu'à se réveiller, et à reprendre ses droits.
Raconter un récit en plusieurs histoires est un dispositif qui m'a toujours grisé, en tant qu'auteur comme spectateur. Changer de personnages et de récit en cours de route multiplie, d'après moi, les possibilités scénaristiques et narratives. Il y a là pour moi quelque chose de profondément divertissant et cinématographique, Ces trois histoires, j'ai pris le parti de les filmer avec seulement deux focales différentes à chaque fois : plutôt courtes pour la première, plutôt moyennes pour la seconde, plutôt longues pour la dernière. Plus on avance dans le récit, plus les personnages plongent dans une spirale sans issue. Chaque histoire est ainsi cinématographiquement racontée de façon différente, au même titre que chacune d'elles appartient à un genre cinématographique différent (fable absurde, suspens, chronique), chaque protagoniste vivant son aventure de façon tout à fait différente. L'opposition entre une esthétique joyeuse et colorée et la détresse des personnages rajoute également une ironie et un décalage servant le propos ambigu du film. Enfin, tout le film a été réalisé caméra à l'épaule, sans aucun plan fixe. Cela amène une sensation de captation du réel « sur le vif », et favorise la plongée du spectateur au sein ce récit buccolico-dépressif. Antoine PEREZ
GREEN SPLEEN, LA DÉTRESSE DU PASSAGE À L’ÂGE ADULTE.
Green Spleen, c’est avant tout la rencontre de trois personnes et un pari fou. Les personnes sont Antoine Perez, Nadhir El Arabi et Florent Tiberghien. Le pari quant à lui, c’est de réussir à produire un long métrage de qualité en s’émancipant des process de production classiques.
Nadhir et Florent se sont rencontré en arrivant au Conservatoire Charles Munch. Très vite, ils ont compris tous deux qu’au delà d’une complicité évidente, ils avaient le même esprit entrepreneurial. Très vite, l’idée de s’associer leur est venue. C’est ainsi qu’est né Kréon
Production, leur société de production, avec laquelle ils avaient la ferme intention de produire des films à leur image: jeunes, indépendants et ambitieux.
Le film est tourné dans 5 décors, en 14 jours au cours de chacun desquels le tournage a manqué
de naufrager. Mais l’équipe a tenu bon. S’en sont suivis 2 ans de post-production, financés par la sueur et les larmes des deux producteurs.
Au terme de tout cela, Green Spleen est né. Mais avec sa naissance est venu le confinement. Les festivals sont annulés, les sociétés de distribution peinent à acheter des films. On pourrait croire que cette belle histoire touche à sa fin, mais Antoine, Nadhir et Florent n’ont pas dit leur dernier mot…Nous vous proposons de leur Interview.
GREEN SPLEEN, UN PARI FOU
Nadhir, Florent et Antoine ont décidé de ne pas baisser les bras face à la crise, et se sont retroussés les manches pour sortir une grande campagne de
communication autour du teaser du film.
Résultats :
•3 affiches, une bande annonce, 4 vidéos pour mettre en avant le film sur Facebook, Instagram et Youtube.
•600 000 vues en 2 semaines toutes plateformes confondues.
•1 500 partages et près de 4 000 likes.
Green Spleen
Un film de Antoine Perez
Produit par FLORENT TIBERGHIEN et NADHIR EL ARABI
Avec Mathias Minne, Baudouin Sama, Margaux Bonin
Image Danny Fonseca
son Colin Favre-Bulle
INTERVIEW de FLORENT TIBERGHIEN et NADHIR EL ARABI
FRÉDÉRIC BONFILS
Bonjour Nadir et Florent, j'ai vu Green Spleen, un film vraiment étonnant et assez inclassable.
NADIR
C'est vrai ! Autant sur le process, sur la forme de A à Z que sur le fond.
Oui, justement. Pouvez-vous m’expliquer l'histoire de la création du film ?
NADIR
Nous nous sommes tous rencontrés à Paris. On vient tous à 90% du même conservatoire d'art dramatique du XIe arrondissement. Florent et moi, on a fait partie de la même promotion. Très vite, on a eu des affinités et on a voulu monter une structure pour pouvoir produire tout le vivier d'artiste qu'on avait autour de nous, et qui était nos amis. Assez rapidement, Antoine Perez, le réalisateur et scénariste du film, nous a rejoints avec ce projet-là.
FLORENT
Concernant l'idée du film, on a été inspiré par Les nouveaux sauvages, le film argentin produit par Almodóvar, qui est un peu sur ce même créneau d'histoires multiples. Des gens qui voient tout s'écrouler autour d'eux.
Mais dès le départ, dès que le projet a commencé, Était-ce déjà un long-métrage ?
NADIR
C'est vrai que c'était assez ambitieux puisque aucune boîte de production ne commence avec un long-métrage comme ça, sans fond, sans subvention ou quoi que ce soit. On savait que ce n’était pas impossible, alors on l'a fait.
Ce film réserve bien des surprises. Quand on le découvre, on se dit "où vont-ils? Est-ce que c'est du premier, deuxième ou troisième degré ? Qu'est-ce que ça signifie en fait ?"
NADIR
(Rire) Je crois que c'est un peu à l'image de cette génération où tout commence, mais sans trop savoir où l'on va. Et c'était vraiment l'idée qu'on voulait dépeindre, le passage, un peu compliqué, de l'adolescence à l'âge adulte.
FLORENT
Antoine Perez a vraiment voulu décrire cette sensation par la réalisation et le montage. Il a voulu montrer cette perdition de la jeunesse qui, à un moment donné, se rend compte, qu'en fait, il n'y a plus de filet. Qu'on ne peut plus faire marche arrière et qu'il va falloir prendre de grandes décisions et choisir ses chemins.
Je commençais à m‘attacher au premier personnage et d'un coup, ça passe complètement à autre chose.
NADIR
Merci ! merci. C’est un compliment ? (Rire) C'était un vrai choix de surprendre.
Par sa fraicheur, on comprend très vite que Green Spleen est un premier film, avec une équipe jeune, mais on est aussi très vite surpris par le cadre caméra audacieux et par les très belles lumières.
FLORENT
C'était vraiment une volonté de notre part. Nadir et moi, on a tous les deux une expérience sur les tournages digitaux, qui sont des tournages avec des équipes beaucoup plus légères et des dispositifs beaucoup plus flexibles.
NADIR
On a travaillé avec le chef-opérateur Danny Fonseca, qui a moins de 30 ans est un vrai talent. Nous voulions faire en sorte d'avoir de très belles images avec un dispositif très léger. Ça nous a permis de comprimer la production en 14 jours qui ont été épiques, pour être honnête.
Je pense que le lien entre les trois personnages est qu'ils se prennent l'information de plein fouet, de façon assez premier degré.
NADIR
Et c'est aussi pour ça que Florent et moi, on est tombé amoureux du projet très rapidement. C'est quelque chose qu’on a vécu. Nous avons décidé de tout plaquer à 25 ans chacun, pour devenir comédien.
On se dit en ce moment que la situation est un peu difficile. Est-ce que la crise sanitaire a influencé à un moment donné l'histoire du film ou bien c'est un hasard ?
FLORENT
Le film était déjà terminé quand le Covid est apparu, on a fait une projection privée du film, pour l'anecdote, le 12 mars, c'est-à-dire la veille de la fermeture des cinémas.
C'est assez intéressant de voir qu'il y a une coïncidence un peu fataliste, mais c'est une pure coïncidence.
NADIR
C'est un mal-être qui était latent et qui maintenant surgit et saute au visage de tout le monde, même des personnages au cours du film.
Pile au moment de commencer la commercialisation du film tous les festivals se sont arrêtés extrêmement brutalement et j'imagine que vous aviez déjà des projets ?
NADIR
Oui, ça a été un choc, car le chemin était tout tracé. Après l'avant-première privée, on devait enchainer avec les festivals et des discussions avec les distributeurs. Tout s'est arrêté. La crise sanitaire nous a tout enlevé. On s'est dit maintenant, on n'a plus rien. La situation du monde culturel est chaotique.
FLORENT
Et donc impressionné par tout ça, on a eu l'idée de sortir une campagne sur les réseaux sociaux assez atypiques. On n'a pas de plate-forme ou de distributeurs qui nous ont achetés. Donc, on a dû s'adapter.
Mais justement. En tant que bon communiquant et avec votre volonté, quelle est votre idée actuellement ?
NADIR
Notre idée est toute simple, réussir à projeter notre film que ce soit sur une plateforme digitale comme Netflix, Amazon ou autre ou en cinéma par des distributeurs. On y croit et on veut réussir à projeter le film et montrer notre travail sur notre génération.
FLORENT
Nous avons tourné des capsules que nous avons diffusées sur les réseaux sociaux. On a eu plus d’un million de vu. On veut prouver que ce n'est pas parce qu'on n'est pas subventionné par le CNC, qu'on n'a pas de grands noms en tête d'affiche que les gens ne voudront pas voir notre film.
Non, seulement vos capsules étaient bien, m'ont bien accroché et j’ai aimé qu’elle ne dévoile pas vraiment le film.
NADIR et FLORENT
(Rire)
Pour me donner envie de voir votre film, vous me dites quoi ?
NADIR
On vous dit qu'il y a une nouvelle génération très talentueuse, qui a beaucoup de choses à dire, qui est très clairvoyante sur sa situation actuelle et sur son avenir. Trois jeunes partent au grand air en se disant qu'ils vont peut-être fuir leurs problèmes, mais en fait, ils se les reprennent à la figure d'autant plus violemment, qu'ils se rendent compte à un moment donné, qu'il n'y a plus de plan B, il n’y a plus de filet. Maintenant, c'est l'âge adulte et il faut suivre ce chemin et savoir ce que l'on veut réellement.
Et si on devait classer votre film, je sais que c'est nul, les étiquettes, mais on pourrait dire quoi ? Comédie dramatique, film à suspense, film à sketches ?
FLORENT
C'est une comédie dramatique absurde.
NADIR
Oui, mais je ne pense pas que ce soit dramatique absurde. On n'a pas de chichis, on n'a pas ajouté de fioriture ou quoi que ce soit. Je pense que les jeunes d'aujourd’hui sont beaucoup comme ça. Donc oui, Green Spleen est comédie dramatique, tout simplement. (RIRE)
C'est cool. Je vous remercie.
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