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Photo du rédacteurBonfils Frédéric

For Gods Only : Une danse des dieux, entre lumière et sacrifice


For Gods Only, présenté au Théâtre du Rond-Point, est une création qui transcende le temps et les corps. Olivier Dubois, chorégraphe au style radical et provocateur, propose ici une nouvelle variation sur Le Sacre du Printemps d’Igor Stravinsky. Dans cette troisième itération de sa collection des « Sacre(s) », il confie son univers à la danseuse étoile Marie-Agnès Gillot. Le résultat : un solo hypnotique et bouleversant, mêlant puissance et fragilité, ancré dans une réflexion profonde sur la notion de légende. Mais cette réflexion, empreinte de poésie et d’abstraction, pourrait laisser certains spectateurs à distance.


La légende comme double sacrifice


Au cœur de For Gods Only, Olivier Dubois explore une idée fascinante : devenir une légende, c’est se déposséder de soi-même. Ce concept traverse toute la pièce et trouve sa matérialisation dans la performance de Marie-Agnès Gillot, incarnant à la fois la figure mythologique du samouraï et l’Élue sacrifiée. Sur scène, son corps devient le vecteur de cette dualité : un instrument de maîtrise absolue et, simultanément, un symbole de l’offrande de soi.


Gillot, assise en début de spectacle, incarne une guerrière fatiguée mais indomptable, nous invitant à observer son combat intérieur. On devine en elle des visions de têtes empalées et des trophées invisibles, métaphores du poids écrasant qu’impose la légende. Pourtant, elle transcende ce fardeau en le métamorphosant en danse. Ici, le sacrifice n’est pas une fin tragique, mais une forme de renaissance. Sa chorégraphie, profondément ancrée dans le sol, alterne entre des gestes rituels, d’une précision captivante, et des élans fulgurants qui rappellent la puissance émotionnelle des grands Sacre(s).


Une esthétique épurée, mais parfois impénétrable


Le décor est à la fois minimaliste et monumental : une imposante structure trône sur une scène dépouillée, tandis qu’une lumière sculpturale magnifie chaque geste. Dubois mise sur l’essentiel, laissant Gillot et sa gestuelle captivante occuper tout l’espace et hypnotiser le regard. La musique, un enregistrement modernisé de l’œuvre de Stravinsky dirigé par Pierre Boulez, apporte une touche résolument contemporaine. Ce dialogue entre le classique et le moderne illustre l’ambition de Dubois : réinventer la tradition tout en la projetant dans notre époque.


Cependant, cette épuration esthétique et conceptuelle, alliée à la densité des thématiques explorées, peut rendre le spectacle hermétique pour certains spectateurs. Le message, volontairement non linéaire, demande une disponibilité totale, un abandon au ressenti plutôt qu’une recherche de compréhension immédiate. Pour les amateurs de récits clairs et directs, l’expérience pourrait paraître distante, presque impénétrable.


Marie-Agnès Gillot : une étoile qui brille autrement


La performance de Marie-Agnès Gillot est la véritable colonne vertébrale de cette création. Danseuse étoile de l’Opéra de Paris jusqu’en 2018, elle revient ici avec une intensité renouvelée, incarnant à la perfection les ambitions chorégraphiques et philosophiques de Dubois. Sa gestuelle, à la fois fluide et musclée, évoque une étoile qui refuse de se figer dans son éclat, une légende qui veut encore être vivante.


Ce retour en solo est une démonstration éclatante de son talent, mais aussi de sa remarquable capacité à se réinventer. En samouraï, elle déploie une présence magnétique, transcendante, qui dépasse les clichés de la grâce classique pour embrasser un univers brut, presque primitif. Si elle semble danser seulement pour elle-même, chaque mouvement résonne également avec ceux qui la regardent, incarnant les espoirs, les projections et les fantasmes que Dubois attribue aux figures légendaires.


Une réflexion contemporaine sur le mythe


Avec For Gods Only, Dubois ne se contente pas de revisiter une œuvre emblématique : il interroge ce que signifie devenir une légende dans une société obsédée par l’immortalisation des figures. Par cette pièce, il critique l’enfermement des icônes dans des images figées, tout en montrant leur nécessité comme repères collectifs. Cette ambivalence donne au spectacle une profondeur philosophique qui dépasse la simple performance scénique.


Mais cette richesse conceptuelle, loin de tout didactisme, peut aussi perdre une partie du public. Les symboles, les métaphores et les références mythologiques qui jalonnent la pièce demandent un effort d’interprétation, voire un lâcher-prise. Pour certains, cette complexité peut se révéler fascinante ; pour d’autres, elle risque d’être un obstacle.


 

Un Sacre hypnotique, mais exigeant


For Gods Only est une méditation sur l’éphémère, sur ce que nous sacrifions pour devenir légendaires et sur la puissance du corps comme expression ultime de ces dilemmes.


Olivier Dubois et Marie-Agnès Gillot réussissent ici une prouesse rare : faire dialoguer l’histoire, la mythologie et le présent avec une intensité lumineuse. Cependant, cette œuvre, envoûtante pour les initiés, pourrait déconcerter par son abstraction et son absence de clés évidentes. Le spectateur prêt à se laisser emporter dans cet univers poétique et exigeant en ressortira transformé ; celui qui cherche un accès plus immédiat pourrait se heurter à une certaine opacité. Une étoile qui brille, certes, mais qui exige qu’on la contemple sans attentes préconçues. Avis Foudart 🅵🅵


 

For Gods Only

Création et conception Olivier Dubois

Solo pour Marie-Agnès Gillot

Assistanat à la création Cyril Accorsi

Musique François Caffenne

et Le Sacre du Printemps d'Igor Stravinsky

Création et régie lumière Emmanuel Gary

Régie son François Caffenne

Scénographie et costumes Morgane Tschiember

Crédit photo ©Julien Benhamou


THÉÂTRE DU ROND-POINT

28 novembre — 7 décembre 2024 • Du mercredi au vendredi, 20h30 – samedi, 19h30 – dimanche, 15h • Durée 50 minutes



 

Tournée

20 décembre 2024 Grand Théâtre d’Angers (49)

29 janvier 2025 Anthéa, Antipolis Théâtre d'Antibes (06)

6 — 8 mars, puis 13 — 15 mars 2025 Théâtre des Bernardines, Marseille (13)

1er avril 2025 Théâtre de la Chaudronnerie, La Ciotat (13)

4 avril 2025 Espace Michel Simon, Noisy-le-Grand (93)

12 avril 2025 Théâtre Municipal, Roanne (42)

16 mai 2025 Le Carreau - Scène Nationale, Forbach (57)

5 et 6 juin 2025 L'Onde Théâtre - Centre d'art,

Velizy-Villacoublay (78)

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